Ecrire pour penser l’impensable

Publié le par Laurent Abrahams

Ecrire pour penser l’impensable

Quand l’émotion, la colère, la stupéfaction, la tristesse et même la marche républicaine… seront passées laissant des cicatrices sur notre raison, il faudra pourtant comprendre. Comprendre et penser l’impensable ; à savoir comment des enfants de la République ont pu à ce point perdre tout espoir dans l’avenir, se mettre en marge de la communauté humaine et se comporter comme des monstres.

Monstre, ce mot viendrait du latin monstranum celui que l’on montre. Alors ce sont bien des monstres qui ont sévit et certains les ont regardés ! Et parmi ceux qui regardent, il y a tous ceux qui mettent des adverbes autour du mot français. Ceux qui vivent au quotidien de ne pas être des « vrais français », d’être seulement des « français d’origine » comme disent mes élèves. Ceux qui veulent assigner une origine, une religion, un quartier… à certains français. Ceux que l’on cherche à enfermer dans une dans une partie de leur identité, ceux que l’on condamne à parler en tant que musulman quand ils auraient également le droit de s’exprimer en tant que français, en tant que jeune, en tant que femme, en tant que travailleur, en tant que citoyen, en tant qu’humain et combien d’autre chose. Tout le monde a droit à la complexité de son identité. Les simplifications, les généralités, les raccourcis sont les ennemis de l’universalisme que la République française a voulu, dès son origine, porter en étendard.

Mais quand je vois l’état de délitement dans lequel est tombée cette République, j’ai parfois des moments de découragement devant l’ampleur de la tâche. Des moments de découragement quand mes élèves, qui font partie de ceux que l’on a laissé au bord de la république, tellement au bord qu’un coup de vent mauvais peut les faire basculer, m’expliquent ce qu’ils ont compris des images des chaines d’info en continue. Des moments d’effarement quand moi-même je reste hypnotisé devant ces même chaines qui font croire qu’elles font de l’information avec du vide. Des moments de colère quand quasiment tout l’espace médiatique est laissé à ceux qui veulent détruire la république à coup de suspicions, de mensonges complotistes et de peurs. Des moments d’incompréhension quand ces peureux parviennent à diffuser leur lâcheté dans de nombreux foyers en la faisant passer pour du courage et du bons sens. Comme si s’attaquer aux plus pauvres, aux plus faibles, aux derniers arrivés, aux minorités relevait d’un quelconque courage. Des moments de solitude quand le grand nombre décide de ne plus venir sur la place publique pour donner son avis, quand il décide de ne plus décider, quand il choisi de ne plus s’exprimer lors des élections, quand il abandonne le combat pour le progrès social, quand il se sent à tel point loin de ce que disent ceux qui prétendent prendre des décisions « réalistes » en son nom, qu’il est prêt à laisser cette République tomber en de très mauvaises mains.

Pourtant la République, la chose commune, doit être la réponse à ceux qui veulent la division ceux qui cherchent à monter les uns contre les autres, ceux qui veulent désigner des boucs émissaires. Mais, après tant d’année durant lesquelles le pouvoir, quand ce n’est pas le résultat de vote, a été confisqué par l’oligarchie, notre outil à fabriquer des citoyennes et des citoyens est abîmé.

Alors, cela peut passer par une nouvelle République refondée qui permettrait de redonner la parole au peuple. Un moment constituant qui peut être l’occasion de revenir dans l’agora de parler, de se convaincre, de s’engueuler, de prendre des décisions, de se tromper, de recommencer. Car la République est tout sauf le consensus. Au contraire c’est le lieu du débat et de la confrontation d’idées mais où on fini par trancher, toujours provisoirement. En effet, quand bien même nous prendrions nos décisions, en bons républicains en fonction de l’intérêt général ce ne seront toujours que des décisions humaines, donc heureusement faillible.

C’est ce que j’ai dit à mes élèves après ce mercredi 7 janvier 2015, que toutes les lois sont des décisions humaines que d’autres humains peuvent changer dans le cadre de la République. Rien n’est immuable. Et même que, souvent, dans l’histoire il a fallut enfreindre certaines lois avant de les changer. Mais je leur explique dans le même temps que le recours à la violence ne fait que rallonger le chemin car il ne permet pas de convaincre tout juste, en de rares occasions, la violence permet-elle de vaincre.

Malheureusement, à longueur de journée, le discours dominant reste qu’il n’ y’a pas d’alternative c’est la crise, que c’est la fin de l’histoire et que rien ne peut changer, alors ma voix ne fait pas le poids et s’efface bien vite. Avec ce discours sans perspective il ne faut pas s’étonner que certains parmi les moins armés pour décrypter le monde, s’engagent derrière les bonimenteurs qui leur promettent le paradis en transformant ce monde en enfer.

Nous, les progressistes, les humanistes, les utopistes universalistes qui croyons encore dans des jours heureux nous devons trouver le moyen de redonner le goût du futur, de désigner de nouveaux défis que seuls les jeunes sont assez fous pour relever, les vieux assez sages pour les rendre réalistes et tous les autres assez forts pour en faire un phare dans l’obscurité qui s’avance.

Laurent Abrahams

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