Le long fleuve (pas très tranquille) du combat pour l'eau

Publié le par Juliette Prados

On ferait bien plus de choses si on en croyait moins d’impossible (Condorcet)

 

ju2.jpgAprès près de trois ans d’une lutte sans relâche pour un retour en gestion publique de l’eau, une première étape est sur le point d’être franchie. Enfin, nos élus ont entre les mains la possibilité de renverser la table, de claquer la porte au nez de Santini et de s’émanciper de sa gestion opaque du SEDIF (Syndicat des eaux d’Île-de-France).  Depuis plus d’un quart de siècle que dure le mandat de Monsieur Santini, depuis 87 ans que dure la délégation du service de l’eau à la Générale des Eaux chaque fois qu’un Montreuillois boit un verre d’eau,  se lave,  prépare son repas, il permet aux actionnaires de Veolia de s’engraisser un peu plus. Financer un peu plus la retraite dorée de Proglio dès que je prends ma douche ? Non merci !

 

Un combat de longue haleine

 

Retour sur 2007 : la répétition des scandales de l’eau commencent à éveiller les consciences et à modifier l’opinion publique. Les associations de consommateurs ont publié les bénéfices insolents et injustifiés de Veolia, mis à jour le mauvais entretien des réseaux et l’intérêt que tirent les grands groupes des gaspillages d’une ressource fragile. Au niveau international, on comprend que la question de l’eau est un « objectif du millénaire ». Michel Partage, alors maire de Varages (dans le Var), à lancé en 2005 « l’appel de Varages » pour que les communes reviennent à une gestion publique de l’eau, et depuis, les collectifs se multiplient, les citoyens s’emparent de la question, Paris commence à préparer son propre retour en gestion publique…

 

A Montreuil, cette prise de conscience se généralise aussi, et mon camarade Nicolas Voisin,  alors Maire adjoint, participe à la création de l’association nationale E.A.U (Elus – Association – Usagers) et engage ce combat au sein du Conseil municipal, pour rappeler les critères essentiels que tout citoyen est en droit d’attendre d’un véritable service public de l’eau : gratuité des premiers volumes, tarification progressive, péréquation tarifaire.

 

En 2007, on savait que deux échéances pouvaient changer les choses et il ne fallait pas les laisser passer sans agir : les élections municipales de 2008 qui allaient mécaniquement entraîner un renouvellement du bureau du SEDIF ; et la fin en 2010 du contrat passé entre le SEDIF et Veolia.

 

Les municipales ont lieu en mars 2008 et le débat public s’empare largement de la question de l’eau. Le rapport de force droite / gauche parmi les 144 villes du SEDIF évolue à l’avantage de la gauche. Dans les semaines qui suivent, comme prévu, une élection a lieu au SEDIF pour renouveler la présidence. Pour la première fois, une opposition se lève contre Santini. Les maires de gauche s’entendent pour présenter leur propre candidat en défendant ensemble le principe du retour en gestion publique. Malheureusement, comme il fallait s’y attendre, la tentative échoue : Santini est reconduit (et pas uniquement avec des voix de droite), le système se referme sur ses secrets et ses dérives, les patrons de Veolia peuvent dormir sur leurs deux oreilles.

 

Ne pas s’avouer vaincu

 

Mais le sujet est de bien trop d’importance pour en rester là ! Dans un contexte qu’aggrave crise sociale, économique et sociologique, il n’est pas question de baisser les bras face aux puissants qui ont trouvé la combine pour transformer l’eau en or, pas question de s’avouer vaincu. Nous avons perdu la bataille au sein du SEDIF ? Et bien, qu’à cela-ne tienne quittons le ! Voilà ce que nous disions dès décembre 2009.

 

photo-juliette-CM-copie-1.jpgDepuis un an, au conseil municipal de Montreuil, j’ai plusieurs fois saisi l’occasion d’interpeller Dominique Voynet sur le sujet : elle qui n’a jamais manqué d’affirmer son intérêt pour un retour en gestion publique, que proposait-elle pour y parvenir ? La réponse était… : rien. Sortir du SEDIF, c’est « compliqué », et puis tout seul on ne pourra pas assurer cette régie publique, les tuyaux qui nous amènent l’eau viennent d’ailleurs, c’est difficile, c’est compliqué, c’est difficile, c’est compliqué…

 

A sa décharge, il est vrai que sortir du SEDIF n’est pas une mince affaire. D’ailleurs, aucune publicité n’est faite sur le site du syndicat pour expliquer la démarche à suivre ! Mais voilà, sur un sujet à ce point essentiel, il faut savoir bousculer l’ordre établi et ne pas se résigner.

 

Au Parti de gauche, nous faisons du service public en général une question de priorité. Tous nos élus se battent pour revenir en gestion publique, s’ils ne l’ont pas déjà fait. Toutes les possibilités doivent être étudiées et envisagées pour défendre l’intérêt général, y compris celles qui perturbent le tiède déroulement des choses et font appel à la désobéissance civique.

 

Contre toute attente, c’est de la création à marche forcée de la communauté d’agglomération « Est-Ensemble » que surgit une petite lueur d’espoir : au dernier trimestre 2009, Daniel Bernard, Maire adjoint PG à Bagnolet, attire notre attention sur le fait que la compétence Eau est transférée au niveau intercommunal. Nous comprenons immédiatement l’opportunité que cela offre : ce transfert de compétence « optionnelle » annule l’adhésion individuelle des neuf villes au SEDIF et nécessite une adhésion de l’agglo « Est-Ensemble » !

 

Plus besoin de sortir du SEDIF, il suffit de ne plus y entrer ! Et à neuf communes, soit près de 400.000 habitants regroupés sur un vaste territoire, il devient concevable d’étudier sérieusement la mise en place d’une régie publique.

 

Ne pas se contenter d’aménager l’existant

 

Alors que Daniel Bernard engage une discussion politique sur le thème avec les élus des villes de l’agglomération, j’interpelle Dominique Voynet en Conseil municipal et l’invite à soutenir notre position : 1/ Tourner le dos au SEDIF ; 2/ Etudier la possibilité de retour en gestion publique.

 

Première interpellation en novembre : pas de réponse. Madame Voynet semble même douter de la réalité juridique que j’expose (il faut dire que le juridique n’est pas son domaine de prédilection : en 2009, elle avait déjà essayé de nous faire voter une délibération basée sur le traité de Lisbonne alors que celui-ci n’était même pas ratifié !).

 

suspension.jpgDeuxième interpellation en décembre : cette fois, le sujet a été préparé. Claire Compain, Maire adjointe qui représente la ville au sein du SEDIF, se lance dans un grand exposé qui vise à nous rassurer : Oui, il se passe dans les couloirs du SEDIF des choses scandaleuses. Oui, Veolia s’enrichit sans scrupule  sur notre dos. Non, Madame Voynet n’a pas renoncé à mener bataille. La preuve, elle fait partie du petit groupe de maires qui vient de saisir la haute autorité de la concurrence pour revoir les termes de l’appel d’offre et permettre à des concurrents de Veolia de se positionner. L’idée de Dominique Voynet : se battre pour faire respecter la loi de la concurrence entre Veolia et Suez dans le cadre de l’appel d’offre du SEDIF pour faire baisser les tarifs et assurer une meilleure gestion de l’eau. C’est ainsi que plusieurs élus de gauche du SEDIF ont pris position début décembre pour s’insurger contre le refus par le SEDIF d’envisager l’allotissement du territoire que réclame l’autre multinationale SUEZ pour concurrencer le monopole de Veolia.  Voilà le grand combat proposé en décembre 2009 par Dominique Voynet… en parfaite cohérence avec les accommodements de « l’Ecologie de Marché » développés par les amis de Daniel Cohn-Bendit et Europe-Ecologie…

 

Elus et usagers : un combat commun

 

C’est à ce moment que nous comprenons au Parti de Gauche que l’affaire était loin d’être entendue parmi les élus de la nouvelle agglomération : l’adhésion au SEDIF est même programmée au premier point de l’ordre du jour du premier conseil communautaire, prévu initialement le 2 février 2010 !

 

Seule une mobilisation des citoyens pouvait changer la donne.

 

Le Parti de Gauche lance alors le 18 janvier 2010 un appel et une pétition pour expliquer l’opportunité offerte par la création de la communauté d’agglomération et invite les habitants à s’emparer de la question.

 

L’enjeu est très vite et très bien perçu. Il est d’ailleurs relayé par le réseau alter-agglo 93 qui regroupe des associations des neuf villes de la communauté d’agglomération. En à peine deux semaines, plus d’un millier de signatures sont recueillies. Les élus commencent à prendre la question au sérieux, réalisent qu’il va leur falloir gérer cette situation qu’ils n’avaient pas prévue, réfléchissent, débattent et puis… finalement, Bertrand Kern, président de « Est Ensemble » annonce que l’adhésion au SEDIF est repoussée d’un an, qu’une simple convention d’un an va être signée pour desservir le territoire en eau, afin de se laisser le temps de réévaluer le système de gestion de l’eau.

 

Une victoire fragile

 

petition-eau.jpgNotre combat semble donc porter ses fruits. Lors du conseil municipal du 28 janvier à Montreuil, Pierre Desgranges (Conseiller municipal délégué à l’intercommunalité) révèle que la ville a défendu cette position auprès des élus de l’agglomération. Dominique Voynet s’exprime pour la première fois publiquement en ce sens par trois petites phrases en toute fin de son édito paru dans Tous Montreuil début février.

 

Les habitants continuent à signer la pétition que nous remettrons mardi 16 février à Bertrand Kern.

 

Mais nous le savons : nous avons gagné une bataille, nous n’avons pas gagné la guerre ! Pour l’instant, l’adhésion au SEDIF n’est pas formellement remise en cause, elle est juste ajournée.

Et rien ne dit que les travaux menés dans le cadre de l’audit ne déboucheront pas sur la décision de rester au SEDIF…

 

Pourtant, le combat vaut la peine d’être mené – aujourd’hui, Paris produit davantage qu’il ne consomme. Pourquoi ne pas envisager la mise en place d’une régie publique de distribution de l’eau produite par Eaux de Paris ?

 

Cette bataille de l’eau en Île-de-France est décisive, et elle dépasse de loin l’échelle régionale car si nous gagnons ici le retour en gestion publique, cela constituera un exceptionnel point d’appui partout en France. Nous avons franchi une première étape grâce à la détermination tranquille de quelques responsables politiques et élus locaux, et surtout grâce à l’implication des citoyens. C’est de la même façon que nous franchirons ensemble les suivantes.

 

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C
<br /> Non au retour en régie publique au SEDIF. Marre que ce soit toujours le citoyen qui paye. Marre de la gauche et de l'extrême gauche qui par idéologie qui prône le retour en service public sans<br /> penser aux surcoûts que cela engendre pour le citoyen qui va encore devoir payer. Ce n'est pas une pensée de gauche que de cribler d'impôts les gens du peuple. Je préfère une délégation confiée au<br /> privé et si les maires font bien leur boulot, oun aura un prix plus bas. Le retour en public c'est le retour du gaspillage et des abus sans aucun contrôle et de l'augmentation des taxes locales.<br /> Demandez voir avec vos amis grenoblois ou parisiens s'ils n'ont pas vu leurs taxes locales s'envoler...<br /> <br /> <br />
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